mercredi 11 mai 2011

En attendant... Une petite fiction.

En 2004, on m'avait demandé d'écrire une série de textes pour un guide touristique. Entre autres, il y avait une petite histoire pour représenter la réalité des lettons à l'époque. Par ailleurs, ce midi, un ami me fait la réflexion que le pays est revenu sur de nombreux aspects à sa situation de la fin des années 1990, début des années 2000. Donc, pour ceux qui connaissent le pays, voyons voir si vous trouvez des anachronismes dans ce court texte.

Bonne lecture !




Aija et Andris vivent à Rîga où ils se sont installés l’un et l’autre lorsqu’ils sont entrés à l’université. Originaires de la même région, ils se sont rencontrés dès leur première année de fac’ dans l’autocar qui les ramenait tous les vendredi soirs à Cesis. Trois ans plus tard, ils ne rentrent plus que rarement chez leur parents, sauf à Pâques, en juin pour Ligo, en octobre pour le ramassage des pommes de terre et à Noël. Andris, comme de nombreux étudiants masculins, s’est orienté vers une filière « affaires » qu’il a quitté rapidement pour s’associer à un ami du même age dans la création de sa troisième société qui importe de la plomberie italienne à bas prix. Ils ont, l’un et l’autre, passé deux saisons à travailler comme serveurs en Allemagne pour rassembler le capital nécessaire et, s’ils ne confondent pas trop le tiroir-caisse avec leur portefeuille et ne boivent pas le capital, ils espèrent pouvoir créer une société plus importante ; peut-être dans l’informatique. 
Renars en 2000
Aija a résisté (et résiste encore) à la pression de sa mère et de sa grand-mère qui lui rappellent qu’elle ne sera pleinement « femme » que lorsqu’elle sera mère. Elle place son ascension sociale en priorité et ce n’est pas en travaillant à plein temps dans un magasin de prêt-à-porter à la mode et en passant toutes ses soirées et ses samedi matins sur les bancs de l’université à préparer son master en droit international qu’elle peut envisager d’étendre la famille. Déjà qu’il est difficile de trouver du temps libre avec son compagnon pour aller chanter à la chorale ou danser sur de la techno au « Depo » le samedi soir ! Et que deviendraient les vacances à faire du snow-board à Sigulda ou en Slovaquie, à descendre la Gauja en canoë ou à se dorer sur les plages croates ? Andris dispose de plus de temps libre qu’Aija et il passe ses soirées à « dragouiller » (avec plus ou moins de succès, mais les demoiselles coopératives ne manquent pas) dans les cafés de Riga tout en avalant quelques litres de bière et en fumant à la chaîne avec les copains ; après tout, il n’est pas marié !


Ni Aija, ni Andris ne parlent russe, juste un peu avec quelques copains d’origine russe qui ont du mal avec le letton et pour comprendre le « voice over » (un ou deux acteurs assurent un doublage atone de toute la bande originale) des séries américaines à la télé. En revanche, ils parlent couramment l’anglais et, pour Aija, le français et un peu d’italien, alors qu’Andris a de bons rudiments d’allemand. L’un comme l’autre n’ont qu’un projet d’avenir en tête : émigrer !  Quand on leur demande où, la réponse englobe toute l’Europe occidentale et les Etats-Unis. Et pourquoi ? Pour gagner plus d’argent, bien sûr, mais aussi pour bénéficier de tous les avantages des pays occidentaux.




Inese et Gunars, les parents d’Aija, vivent à la campagne, dans les collines entre Cesis et Valmiera. La « révolution chantante » a bouleversé leur vie : Inese était ingénieur agronome, directrice adjointe d’un kolkhoze. De tous les avantages liés à sa fonction, elle n’a gardé qu’une Lada Niva qui tombe en panne à chaque hiver et l’appartement qu’elle occupait dans « l’agroville » du kolkhoze (ensemble type HLM construit en pleine campagne et disposant de sa propre centrale de chauffage et station de pompage d’eau). Elle n’a aucun revenu officiel : trop jeune pour toucher la maigre retraite que la Russie verse à la Lettonie au titre des anciens fonctionnaires (60 Euros par mois), elle est aussi trop agée pour se reconvertir.  Comme toute lettone de la campagne, elle est excellente couturière, maîtrise la vannerie et le tressage, et elle connaît sur le bout des doigts la forêt avoisinante. Alors, été comme hiver, elle vend ses paniers et les champignons ou les baies qu’elle ramasse sur un parking en face d’une grande station de bus sur la route de Peterbourg. Elle échange avec quelques voisins des travaux de couture contre un poulet ou des œufs. C’est elle qui cultive le jardin familial. Elle peut ainsi envoyer l’argent qu’elle économise à Aija et lui donner à chacun de ses rares passages assez de conserves et de légumes pour faire manger toute une famille. Gunars était vétérinaire ; il vit dans la nostalgie de cette époque où tout était simple : donner les bonnes réponses permettait d’être un bon pionnier, puis un bon komsomolets, puis un bon soldat et enfin un bon membre du Parti. Tout à changé, même le goût de la vodka. Il assure l’entretien et la garde d’une propriété sur la côte appartenant à de riches russes. Ca lui permet d’être à la maison les week-ends et l’été. Ca lui donne surtout l’occasion de passer de longues heures à se demander pourquoi, comme son cousin Imants, il n’a pas usé de ses anciennes relations du Parti pour faire fortune dans la banque et l’immobilier. Il se console en se disant qu’ainsi, au moins, il n’a pas de relations avec la maffia russe. C’est Inese qui gère les comptes de la maison. C’est elle aussi qui s’assure du maintien des traditions : les jours « au drapeau » (jours légaux où chaque maison doit porter le drapeau national), les plats traditionnels liés à certaines dates, les tresses de feuilles ou de fleurs. Et, lorsqu’elle s’en va cueillir baies ou champignons, elle laisse toujours un petit cadeau, quelques fruits secs, un morceau de « pain d’ours » (Lacu Maize : pain noir traditionnel aux fruits secs) dans le même creux du même vieux chêne plus que bicentenaire : une offrande à la « mère des buissons » dans le respect de la vieille religion traditionnelle qu’aucun envahisseur n’a pu éradiquer.


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