Pour la quatrième fois déjà, à l'aéroport de Wien-Schwechat, l'agent de sécurité d’El-Al m’avait renvoyé au bout de la queue qui serpentait jusqu'au filtre pour le vol de Tel-Aviv. Pour la cinquième fois on allait me poser les mêmes questions : identité, motif et destination précis de mon voyage, contenu de mon bagage. Pour la cinquième fois, j'allais donner les mêmes réponses : "Lisez mon passeport. Consulat général de France à Jérusalem. Mission de liaison. Pas votre problème." Et encore une fois, l'agent allait essayer de me faire ouvrir mon bagage ou de le passer au tunnel.
C’est là que résidait le nœud du problème : le bagage en question était un gros et lourd sac bleu roi d’un côté et bleu-blanc-rouge de l’autre, portant le symbole de la République Française et, en jaune, la mention "valise diplomatique - diplomatic bag". Pesant 38 kg, il disposait de son propre billet pour le siège à côté du mien et d'une lettre m’accréditant comme courrier diplomatique. Et les services israéliens auraient bien voulu savoir ce qu'il contenait.
Le vol depuis Paris s'était passé sans incident : Michel côté couloir, moi côté hublot et entre nous le gros sac pas vraiment discret attirait des regards intrigués mais rien de plus. Comme le disent les anglais, comme l'écrivait E.A. Poe dans La Lettre Cachée : "hidden in plain sight". Notre protection résidait dans nos passeports bleus, la lettre à l'en-tête du Ministère des Affaires Étrangères, les règles diplomatiques internationales inscrites dans la convention de Vienne (où nous nous trouvions justement) et le fait que chaque années des centaines "d'agents consulaires" convoient des valises et des sacs pareils au notre. Mais les agents israéliens faisaient très bien leur travail, jouant de l'énervement, du refus poli mais insistant, de l'invitation bornée, restant toujours à la limite du convenable, au seuil de l'acceptable et comptant sur notre lassitude et la peur de ne pas prendre l'avion. De ce côté, aucun souci : il y a toujours un prochain vol.
Le sac était lourd, encombrant et le porter d'un bout à l'autre de la queue sans trop trahir son poids était loin d'un dimanche à la campagne. Le perdre un instant des yeux c'était prendre le risque qu'il soit scanné ou bien qu'on y glisse un endoscope.
Jeu de patience, de résistance, d'obstination. J'ai une bonne part de sang breton, la tête dure qui va avec et la conscience de mon bon droit.
Enfin ! Le filtre de sécurité est passé mais les soucis ne cessent pas pour autant : l'hôtesse, sous prétexte de mon confort, veut me débarrasser du sac pour le conserver à l'office. Puis, sous prétexte de sécurité, veut m'interdire de le placer sur le siège du milieu. Elle cherchera aussi à le déplacer pour nous servir la collation à bord et avant l'atterrissage nous demandera de le lui remettre encore pour raison de sécurité. Cette insistance deviendrait presque comique.
À l'arrivée à Ben-Gouriom, le cirque de Vienne recommence, mais avec plus d'ampleur et plus menaçant. Ce n'est pas moins de huit personnels de sécurité qui nous encadrent à la sortie de l'avion. Ça me rappelle une mission qui avait mal tourné en Albanie en 1991 ; à tout prendre, les prisons israéliennes sont certainement plus confortables que celles de Tirana au milieu des émeutes de la faim. Mais on n'en est pas encore là. Après plusieurs fermes invitations, le sac m'est saisi des mains pour le poser sur le tapis roulant du scanner. Je le récupère vivement. Je sens qu'on risque d'en venir aux mains et la courtoisie a totalement disparu. Je commence à me demander quelle est la force réelle de la convention de Vienne lorsqu’on est entouré d’agents du Mossad pas particulièrement sympathiques et jusqu’à quel point Israël considère la France comme un pays ami. Les lois internationales sont belles lues à Paris, mais qu’en est-il à quelques milliers de kilomètres, dans un pays qui se considère en guerre depuis sa création ?
Nous sommes séparés. Je suis conduit dans une pièce aux murs nus et spartiatement meublée où une jeune femme commence à me poser les sempiternelles question en excellent anglais puis en excellent français. Coopératif au début, je commence à en avoir un peu marre. Je me contente maintenant de répéter les article 27-3 et 27-5 de la Convention de Vienne : "La valise diplomatique ne doit être ni ouverte ni retenue." et «Le courrier diplomatique est, dans l’exercice de ses fonctions, protégé par l’État accréditaire. Il jouit de l’inviolabilité de sa personne et ne peut être soumis à aucune forme d’arrestation ou de détention.»
On change d'interrogateur. Il s'agit maintenant d'un homme le ton est plus menaçant, mais c'est justement sa colère rentrée qui me fait comprendre que nous avons gagné. Tout n'est plus qu'une question de patience et de combien de fois je pourrais citer la convention. Je retrouve Michel à l'extérieur. Ça n'aura duré qu'un peu moins de deux heures.
Même dans la voiture aux plaques diplomatiques françaises, nous n'échangerons pas d'autre chose que des platitudes. Pourtant, de Tel-Aviv à Jérusalem, la route est longue. Mais la Fiat qui nous suit est loin d'être discrète. Ce n'est qu'une fois dans les locaux du consulat général, après que les gendarmes nous aient conduit au bureau du consul que la tension se relâche. Nous y retrouvons nos collègues du groupe d'appui des voyages officiels qui vont former leurs homologues palestiniens. Ces veinards seront à Ramallah pendant que Michel et moi irons dans une ancienne prison anglaise au cœur du désert pour y former un groupe d'intervention.
Je peux enfin faire sauter le plomb du sac, l'ouvrir, en sortir les boîtes enveloppées dans des feuilles de plomb, des fois qu'on nous ait fait passer aux rayons X sans nous prévenir. Nos collègues, qui sont arrivés un jour auparavant bien plus discrètement, récupèrent leur matériel et leurs munitions. Je conserve le sac et les feuilles de plomb. Tout ça nous servira au retour pour y placer mon ordinateur et nos rapports de travail à l'abri des indiscrétions.
La journée n'est pas finie. Après un premier contact avec un diplomate fort courtois et efficace (j'apprendrai plus tard qu'il était aussi courageux, ayant parlementé avec des colons fondamentalistes d'origine française qui l'avaient reçu en lui pointant un M-16 sur le nombril), ils nous faut rejoindre notre hôtel à la limite de Bethlehem et Beit-Jala en secteur palestinien. Dans ce sens là, à part le regard scrutateur des gardes frontières, les Check-points israéliens se passent sans problème. Dès le lendemain matin, notre mission doit démarrer et nous allons découvrir comment les conducteurs locaux faisaient passer trois véhicules de front sur des petites routes accrochées entre montagne et précipice, en écoutant à fond la pop libanaise. Mais pour l'instant nous pouvons encore nous raccrocher à ce qui est connu : un hôtel qui a eu de meilleurs jours et son restaurant où nous rencontrons notre interprète, Afwan, le ministre de l'intérieur et le chef de la police de l'autorité palestinienne. Ce dernier nous offre des keffieh et il est un peu surpris de voir que je sais comment le mettre. Il nous montre néanmoins comment le porter à la façon de Yasser Arafat, de telle façon que les plis rappellent la forme du territoire palestinien. Notre mission est précisée : il faut organiser la sécurité du 2000ème anniversaire du Christ à Bethlehem et plusieurs millions de pèlerins sont attendus. Ça nous le savions déjà. Il faut établir une analyse de risque, des plans de contingence et former le groupe d'intervention qui sera en charge de gérer les incidents éventuels et l’état major et ça, ça demande des précisions. 6 jours par semaine, nous devrons entraîner les membres des unités concernées et le septième, nous assurerons des reconnaissances sur tout le secteur de Bethlehem. Le repas se prolonge tard dans la soirée.
Après ça, il nous reste bien des choses à organiser pour le lendemain et les semaines à venir.
Un jour très ordinaire en somme pour un porteur de valise.
Journaliste pour Mediapart,
RépondreSupprimerJe prépare un portrait de Franck Brinsolaro, l'un des deux policiers tués à Charlie Hebdo le 7 janvier. Il est possible que vous ayez été dans la même promotion à Chassieu (107e). Vous souvenez vous de lui et est-ce possible de vous joindre ?
Cordialement,
Louise Fessard
0662294018
Bonjour Mr.Masson,
RépondreSupprimerEtant actuellement au Maroc, un ami Marocain m'a parlé de vous et aimerai avoir de vos nouvelles il s'agit de Si Mohammed (ou SiMo) qui possède une boutique dans la médina. Simo m'a seulement fait part de votre nom et prénom ainsi que votre pays de résidence et m'a demander d'essayer de trouver un moyen de vous contacté. N'ayant rien trouvé dutout j'éspère m'adresser à la bonne personne, si c'est le cas et que vous souhaité faire part de vos nouvelles à Simo je vous invite à me joindre via l'email ci-dessous :
dimitry.cornu@outlook.fr
Cordialement.