mercredi 15 juin 2011

le système social letton : une expérience in-situ

Même s'il est souvent nécessaire de prendre du recul, rien ne remplace le contact direct avec la matière dont on traite. Ne reculant contre aucun sacrifice quand il s'agit d'informer, je viens donc de passer une semaine au sein du système de santé letton  et, plus particulièrement, dans un service de l'hôpital dont le futur-ex-président de la république lettone était le directeur : le centre de traumatologie et d'orthopédie de Riga.



Le peuple de l'union soviétique était friand de plaisanteries dénonçant les travers du système. L'une d'entre elles, s'attaquant au manque d'imagination de la centrale touristique «INTURIST », disait que tous les ans les agences touristiques de l'Union soviétique publiaient la même plaquette, en changeant simplement le nom et une de photos de la ville concernée, avec toujours le même sous-titre « ville de contrastes » (gorod kontrastov). Le même qualificatif s'applique au système hospitalier letton
: d'un côté, les bâtiments qui tombent en morceaux, le lino qui part en plaques, les fauteuils roulants sans accoudoir et dont le caoutchouc des roues est  en voie de disparition, les lits disparates et le manque de mobilier, trois toilettes pour 60 personnes-dont une est en panne, l'absence de papier hygiénique, l'absence de moustiquaire, pour n'en citer que quelques-uns ; de l'autre côté, un personnel en nombre largement suffisant (pour 60 lits, de jour, une vingtaine de personnes-de nuit, huit), des chirurgiens efficaces, dynamiques, ouverts et explicatifs, se déplaçant le week-end hors-permanence, des techniques d'anesthésie de pointe,  des techniques chirurgicales modernes (malgré un bloc opératoire qui semble être resté dans l'état dans lequel l'union soviétique l'a laissé), des astuces pour baisser les coûts en préservant l'efficacité (par exemple : distribution tous les soirs d'une décoction de plantes à effet calmant au lieu d'une injection de produit au même effet), un réseau informatique wi-fi  couvrant tout le centre hospitalier et permettant à chaque soignant d'accéder au dossier complet du patient (y compris les radios, tomographies, et toutes imageries nécessaires) où qu'il soit dans l'hôpital, un bloc d'IRM, un autre de tomographie à positrons.  Les deux listes sont loin d'être exhaustives.




Comment cela se passe-t-il dans le concret ? Prenons l'exemple d'un accident du travail : une personne chute d'une échelle, tombe et un de ses collègues appelle le SAMU. Nous somme à Riga.  l'équipe de secours, qui se compose d'un conducteur et d'un personnel paramédical, est sur les lieux en un quart d'heure. Le diagnostic est rapide : la personne est en état de choc, la fracture quasi certaine. La réponse est également rapide : pose d'une attelle et d'une voie intraveineuse, injection d'un antalgique, embarquement du  blessé. Le triage se fait en route et, en l'occurrence, le blessé est dirigé vers les urgences du centre de traumatologie. L'arrivée ne ressemble en rien à une série télévisée : assis sur une chaise en plastique qui a vu de meilleurs jours, dans un couloir à la peinture brune du meilleur effet, le blessé  répond à des questions administratives qui sont jetées à la cantonade depuis un guichet. Assez rapidement, comme il n'est pas atteint aux membres inférieurs, il est invité à se rendre dans le bureau du médecin urgentiste. Au bout de quelques questions, on l'invite à se rendre au service de radiologie. Re-chaise en plastique,  de nouveau dans un corridor brun, attente. Radiographie. Retour dans le corridor. Bureau du médecin urgentiste. Étude de la radio devant le patient, avec explications détaillées de la nature de la blessure, autant que de la chirurgie qui va être nécessaire. En l'occurrence : fractures multiples de l'humérus gauche-possible lésion du coude. Immobilisation avec un plâtre. Transfert vers le service de chirurgie : à pied.



Dans notre exemple, c'est la vraie vie : les gens font des erreurs. Lors du plâtrage, trois infirmières qui, de surcroît, démontraient à une jeune étudiante ce qu'il faut faire, n'ont pas tenu compte de la dislocation de l'os. Le plâtre est trop court et le moindre mouvement du patient est particulièrement douloureux. Après  quatre heures d'attente, il obtient d'être revu par un médecin lequel, bien évidemment, le renvoie se faire plâtrer. S'ensuit une période confuse, entre morphine et douleur, assis dans un fauteuil dans le corridor-parce que la position couchée est insupportable et qu'il n'y a pas de fauteuil dans la chambre- jusqu'au lendemain en fin de matinée. Là, très rapidement, l'un derrière l'autre se succèdent  l'infirmière en chef avec un formulaire préopératoire, le chirurgien, l'anesthésiste, un électrocardiogramme, diverses analyses, de nouveau l'anesthésiste et enfin, de nouveau le chirurgien. L'opération est prévue pour le lendemain matin.



Après une nouvelle nuit à dormir dans le fauteuil du couloir, le patient est invité à regagner son lit. Changement de vêtements. On s'installe tout seul sur le lit qui nous conduira à la salle d'opération. C'est parti !  De nouveau, un contraste et une différence avec l'univers des séries et celui de la chirurgie française : une barre en inox sépare la zone d'approche de la zone stérile mais c'est tout seul que le patient passe d'un lit à l'autre. De la même façon, il passe du lit à la table. Parlons de contraste : la céramique verte de fabrication soviétique qui recouvre les murs et le bloc de monitoring ultramoderne,  le pied de la table en fonte peinte et la technique d'anesthésie qui associe injection, gaz, régionale. Rideau !

Combien d'heures plus tard, retour à la chambre. Le chirurgien énonce une série de phrases que les compagnons de chambrée répéteront au réveil du patient : la séance a duré deux fois plus que prévu.  Les lésions du coude étaient plus importantes qu'il n'y paraissait sur la radio. La mobilité et la sensibilité d'un ou de deux doigts pourrait être perdues. Vendredi. Alternance de brouillard et de clarté. Les infirmières à la voix bourrue et russe et aux gestes doux et précis. Les plats de gruau qui se succèdent sur la table de nuit et que le personnel de service reprend,  intacts, avec une voix concernée. Un brin de discussion  avec une aide-soignante âgée qui reconnaît qu'elle fait ce métier par ce que sa retraite ne suffit pas. Samedi : même rythme. L'espoir de sortir. Le temps grumeleux. L'éclaircie d'une visite du chirurgien qui explique les soins postopératoires et annonce une sortie pour lundi. Dimanche : une routine s'installe, ponctuée par les piqûres d'antibiotiques, celles d'analgésiques, la distribution des comprimés,  celle des repas et, en fin de soirée, la « mixture » (un mélange amer de plantes qui nous font rapidement tomber dans le sommeil).



Pour autant, nous sommes libres de sortir nous promener dans le parc, d'aller au café voisin, voire au supermarché, de parler fort et même, pour mes voisins de chambre, de bricoler un home-cinéma avec un ordinateur et des haut-parleurs et de passer des grands classiques des cinémas russe et letton jusque tard dans la nuit. En général, la mixture a fait son effet : ils ne voient que les premières minutes du dernier film. Les visiteurs vont et viennent quand ils le veulent. La seule obligation qui leur est faite est de chausser des couvre-chaussures, vendu pour 0,30 € dans l'escalier sous peine de se faire tancer par le personnel soignant. Les patients échappent à cette obligation : même s'ils se rendent à l'extérieur. Leurs semelles sont, sans doute, imprégné de l'antisepsie de l'hôpital.

Lundi. Enfin, c'est le jour de sortir. Dernières explications du chirurgien, les pansements sont refaits, ainsi qu'une radio de contrôle. Visite de la kinésithérapeute puis, la chef infirmière donne toutes les instructions pour les soins postopératoires et pour régler la facture. Notre patient est assuré social letton. Il n'a donc à payer que 110 € pour les actes chirurgicaux, sous 15 jours. Tout le reste, depuis l'intervention du SAMU jusqu'à la sortie est pris en charge par la sécurité sociale. Mais c'est la que cela s'arrête : les soins ambulatoires (refaire le pansement,  retrait des sutures, kinésithérapeutes) devront être payés immédiatement, à la caisse. Si le patient dispose d'une assurance médicale (ici, pas de mutuelle), il se les fera rembourser en fonction de son contrat. Refaire un pansement, par exemple, coûte huit euros.



Ce qui diffère le plus, dans la prise en charge de l'individu, des systèmes occidentaux, c'est tout ce qui entoure l'acte médical. Pas de prise en charge de la douleur avant que le patient ne l'ait clairement manifestée ; pas d'accompagnement de l'acte chirurgical ou médical-c'est tout juste si le patient ne se rend pas à pied lui-même de son pavillon au bloc opératoire ; pas de bureau d'accueil ; pas de surveillance-s'il y a un service de sécurité, il est extrêmement discret. Ne vous y trompez pas : Le personnel est très professionnel et d'une réelle gentillesse. Ils font réellement beaucoup avec très peu et traitent, tous les jours, les grosses blessures du quotidien de la Lettonie. Ce sont des héros nietzschéens dans une vie ordinaire.
C'est un peu brut mais le système fonctionne.

Une question subsiste : « qu'arrive-t-il aux patients qui ne parlent ni russe, ni letton ? »

2 commentaires:

  1. Je te féliciterais bien pour ce compte-rendu quasi-clinique s'il ne laissait deviner des moments passablement douloureux. En tous cas, tu as réussi à nous faire entrer dans la peau d'un patient (sans qu'on l'envie pour autant).
    Bravo aussi pour la patience dont tu as fait preuve: taper un texte aussi long avec une seule main, mazette!
    Enfin, chapeau au personnel, qui fait du bon boulot avec des bouts de ficelle.
    Concernant ta question subsidiaire, je connais bien quelqu'un qui est passé par les urgences à Riga à une époque où il parlait à peine les langues mentionnées et ma foi, il s'en est tiré sans trop de quiproquo. Il est vrai que les dégâts étaient moins graves et le séjour nettement plus court.

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  2. Merci Antoine. Le texte était d'ailleurs empreint de quelques coquilles, maintenant éliminées.

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